Après le monde

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Après le monde Roman Dystopie Antoinette Rychner

Après le monde est une dystopie qui présente à la fois l’espoir et son contraire. L’espoir nait de la fraternité et de la volonté de travailler ensemble dans la reconstruction d’un monde respectueux des autres et des limites de l’environnement. Cependant trop peu et trop tard, cette tentative de reconstruction ne suffira pas pour empêcher un affaissement total de l’écosystème planétaire tel que nous le connaissons.

Une autre particularité du roman tient au fait que l’effondrement ne débute pas par la menace d’une météorite ou d’un cataclysme mondial, mais tout bonnement par l’effondrement du système économique actuel. En ce sens, ce roman est porteur d’un avertissement que l’on entend peu dans le traitement des perturbations climatiques. Néanmoins, cela semble aussi probable que la montée des eaux côtières ou la destruction des écosystèmes forestiers. 

Résumé

Après le monde débute en 2023 par la destruction d’une bonne partie de la côte ouest américaine à la suite d’un ouragan. En plus des 60 000 morts, la catastrophe fait des dommages matériels sans précédent. Les compagnies d’assurance sont incapables d’assumer les pertes. Les banques font faillite. Le gouvernement ne réussit pas à financer ses plans d’urgence. Les chaines d’approvisionnement s’effritent et se rompent. Finalement, c’est l’économie mondiale s’effondre. 

« Une idée commençait à poindre : si les États-Unis avaient pu continuer à emprunter si facilement, ce n’était pas parce que leur dette était davantage remboursable que celle des pays pauvres, mais parce que des taux faibles avaient représenté la condition même d’évitement d’un nouveau krach et que les opérateurs estimaient qu’ils seraient les derniers à devenir insolvables ».

Les 8 années suivant la catastrophe sont marquées par la perte graduelle des commodités contemporaines. Ainsi disparaissent de l’usage quotidien: l’internet, le magasinage, les sorties en voiture ou en transport en commun, etc. La pauvreté et la faim entrainent la montée de la violence et de la criminalité. Le fascisme est de retour avec son lot d’injustices. Finalement, le pouvoir tombe aux mains de groupes armés. Nos héroïnes sont expulsés ou fuient la Suisse afin de trouver un endroit plus résilient où s’installer.

Puis, les 18 années suivantes se dérouleront dans de petites communautés où n’entrent pas ceux qui veulent. Néanmoins, nos protagonistes recoivent un accueil favorable. On recycle ce que l’on peut à partir des technologies d’avant, mais sans énergie pour les faire fonctionner. La vie se déroule plus lentement, mais la société se redéploie suivant des règles de partage et de respect. Le troc remplace la monnaie. Les récoltes sont mises en commun. 

Malheureusement au final, les catastrophes climatiques se poursuivent et la barbarie triomphera de ce modèle de survie adapté. 

«Des chercheuses se risquent aux franges des régions dévastées. Nous les entendons parler d’hydrogène sulfuré, d’atmosphère corrompue, de courants modifiés dans les océans, d’anoxie en profondeur, de sulfate et de réaction des roches terrestres, de sols bouleversés et de carbone, d’azote, d’enzymes de molybdène, quand ce n’est pas de relâchement de méthane ou de fonte accélérée».

Thématiques

Écoféminisme

L’écoféminisme est un courant philosophique qui considère que la relation de domination et d’oppression de la femme et la surexploitation de la nature ont les mêmes sources. Ainsi le respect mutuel entre les genres favoriserait le respect des écosystèmes. Après le monde est écrit au féminin. Elles chantent l’histoire passée, présente et des projections futuristes en employant le « nous ». Ce « nous » est féminin pluriel. L’histoire de la vie de femmes s’écrit au fil des évènements.

« Faye en profite pour expliquer à Barbara et à Christelle assises à ses côtés que la réinsertion des hommes dans un travail ménager élargi était la condition de l’abolition des structures patriarcales et, en dernière conséquence, du capitalisme».

Collapsologie

Toute la trame du roman est issue de ce courant de pensée selon lequel l’effondrement de la civilisation industrielle pourrait provenir de la conjonction de différentes crises : crise environnementale, mais aussi énergétique, économique, géopolitique, démocratique, etc. La collapsologie se présente comme un exercice transdisciplinaire faisant intervenir l’écologie, l’économie, l’anthropologie, la sociologie, l’écosophie, la psychologie, la biophysique, la biogéographie, l’agriculture, la démographie, la politique, la géopolitique, l’archéobiologie, l’histoire, la futurologie, la santé, le droit et l’art.

Message d’espoir lucide

Après le monde est un cri du cœur, une vision d’un futur proche apocalyptique, mais simultanément le roman est un appel à l’engagement et à la solidarité devant la menace climatique. Antoinette Rychner fait preuve d’une grande lucidité dans son évaluation du futur. Il s’agit certes d’un roman écoféministe, ce qui n’est pas une tare en soi, le monde est encore dirigé majoritairement par des hommes qui poursuivent une croissance économique sans fin. Cette vision dépassée mène irréversiblement notre espèce vers des non-lendemains. Alors anticiper un futur possible tout en mettant en scène des propositions de solution constitue un message d’espoir.

De plus, l’utilisation du « Nous » dans les chants amplifie l’appel à la solidarité. Le « Je » ne suffit plus devant l’ampleur de la tâche, il faut s’y mettre à plusieurs ; il faut réinventer des communautés où l’équilibre de la vie sera l’objectif incontournable. Les récits des femmes illustrent l’espoir, mais également la menace d’un retour à la barbarie dans une société dépouillée de ses repères. 

« S’épanouir touche aussi au respect de ses pairs, à la possibilité de donner et de recevoir, d’apporter une pierre utile à sa communauté. |…| Nous interagissons au quotidien avec nos voisines, et si notre monde n’est pas exempt de conflits, aucune des violences d’aujourd’hui n’exercera jamais une domination aussi puissante et obscure que les algorithmes d’autrefois ».

Des romans comme Après le monde sont nécessaires afin que l’on sorte collectivement de l’endormissement suicidaire dans lequel nous confinent les dirigeants du monde. Les artistes ont souvent été les visionnaires, les précurseurs. Aujourd’hui j’applaudis le courage de l’autrice !

À lire !

AutriceAntoinette Rychner
TitreAprès le monde
ÉditeurBuchet/Chastel,  Paris
Année de publication2020

Pour en savoir plus

Colin Pahlisch. (2023). «Ce roman m’a permis d’inventer concrètement une société nouvelle. Entretien avec Antoinette Rychner». Relief. Vol 17, No 1, La science-fiction et l’enseignement du politique, pp. 157-166. |En ligne : https://www.doi.org/10.51777/relief17714.

Jean-Christophe Cavallin et Antoinette Rychner. 2021. «Écriture et oralité». Fabula-LhT, no 27. «Ecopoétique pour des temps extrêmes». Direction Jean-Christophe Cavallin et Alain Romestaing. 13 Décembre. |En ligne| : https://doi.org/lht/27/rychner.html.

Laurence Perron. (2022). «Après le monde : Antoinette et la fin de la métaphore cynégétique». Itinéraires. Vol.1. 6 avril. |En ligne| : https://doi.org/10.4000/itineraires.10295.

Site de l’autrice: https://www.toinette.ch/