Les ingénieurs du chaos 

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Cet essai de Giuliano da Empoli est consacré aux spin doctors nationaux-populistes. Les ingénieurs du chaos est un succès littéraire est traduit en 12 langues et réédité en 2024. L’auteur est journaliste et professeur à Science Po de Paris. L’essai débute par une citation de Woddy Allen :

« Les méchants ont sans doute compris quelque chose que les bons ignorent. 

Je me propose ici de vous résumer les grandes lignes de cet ouvrage captivant, toujours et peut-être même davantage, d’actualité.

Résumé

La démocratie représentative devient tranquillement une institution désuète devant la montée en puissance des algorithmes dans nos vies. Le pouvoir des chambres d’écho supplante le spectacle politique traditionnel. Les réseaux sociaux sont devenus des acteurs incontournables et très efficaces pour gagner une campagne électorale. Qui plus est, la véracité des faits occupe le second plan. Dorénavant, ce qui compte c’est la portée du message. Le nombre de like est devenu le nouvel indicateur !

L’auteur nous met en garde contre ce genre de politique qui affaiblit la société, car cette vision du monde individualisé détruit des possibilités de cohésion sociale.

« Avec la politique quantique, la réalité objective n’existe pas. Chaque chose se définit, provisoirement, en relation avec quelque chose d’autre et, surtout, chaque observateur détermine sa propre réalité. »

Les élections algorithmiques

Le livre débute par un récit de l’arrivée de Goethe à Rome en février 1787. Il débarque à Rome au début du Carnaval. Cette fête permet pour un moment le renversement de toutes les hiérarchies. Le poète allemand rapporte le côté subversif de la fête. Elle se transforme en un exutoire du sentiment de révolte et d’injustice profondément ancré dans l’imaginaire collectif. Le Carnaval est l’occasion pour le peuple de renverser l’instant d’un moment et de manière symbolique, tous les pouvoirs et les règles établies. Le pauvre n’est plus subordonné au riche, le mécréant au noble, le mendiant au roi. Dans l’histoire des carnavals, plusieurs assassinats et dérapages violents ont eu lieu lors de ces fêtes populaires.

De ce fait, l’auteur retrace l’analogie avec l’ascension des élections algorithmiques. Ainsi l’utilisation des données personnelles des réseaux sociaux permet à des centaines de spin doctors, d’idéologues et d’experts en mégadonnées de faire converger la sympathie des électeurs vers des leaders populistes. De cette manière, on catalyse le mécontentement du peuple envers les dirigeants et on propulse au pouvoir des individus forts en gueule, mais pas en contenu. Sans leur soutien, ces personnes n’y seraient jamais parvenues. Le scandale de Cambridge Analytica est désormais oublié.

« Dans le monde de Donald Trump, de Boris Johnson et de Jair Bolsonaro, chaque jour porte sa gaffe, sa polémique, son coup d’éclat. On a à peine le temps de commenter un évènement qu’il est déjà éclipsé par un autre, dans une spirale infinie qui catalyse l’attention et sature la scène médiatique. »

Un nouvel art de la propagande

Les ingénieurs du chaos ont réinventé un nouvel art de la propagande à l’ère des selfies et des réseaux sociaux. Le seul paramètre de la qualité d’une nouvelle évalue le nombre de like. L’algorithme des réseaux sociaux est programmé pour offrir à l’utilisateur n’importe quel contenu susceptible de l’attirer et de le garder plus longtemps sur la plateforme. Les ingénieurs du chaos raffinent cet art en enflammant les passions du plus grand nombre et en cultivant la colère de chacun. Ainsi ils articulent le conflit politique sur la simple base d’une opposition entre le peuple et les élites. Mais ils se gardent bien de définir clairement le peuple par rapport à l’élite. Dès lors, les nouvelles, relancées et approfondies par les médias, sont celles qui suscitent le plus grand nombre de réactions. Elles deviennent les nouveaux chevaux de bataille des politiciens. D’autres sujets d’actualité, souvent plus importants, mais plus ennuyeux, occupent l’arrière-plan politique et médiatique. De cette façon, l’espace médiatique devient complètement encombré par des dénonciations de faits réels ou imaginaires qui suscitent l’indignation des citoyens. 

« Le carnaval produit chez celui qui y prend part une intense sensation de plénitude et de renaissance, le sentiment d’appartenir à un corps collectif qui se renouvèle. |…| Les trolls sont les nouveaux Polichinelles qui jettent de l’huile sur le feu libératoire du Carnaval populiste. »

Le Carnaval algorithmique

Pour les ingénieurs du chaos, les fake news sont des instruments plus efficaces que la vérité ou la réalité, car le fait de croire en l’absurde donne une véritable preuve de loyauté ! Le meilleur client des algorithmes des réseaux sociaux est un être compulsif, à la recherche de petites doses de dopamine que lui procurent les likes obtenus pas ses posts. Or pour obtenir un grand nombre de like, la vérité fait moins réagir que la colère et l’indignation.

« La rage, disent les psychologues, est l’affect narcissique par excellence, qui nait d’une sensation de solitude et d’impuissance. »

Or, les ingénieurs du chaos l’ont bien compris et ils misent sur cet affect. Par conséquent, la mise en ligne de polémiques de toutes natures génère plus d’attention et de likes que n’importe quel autre sujet rationnel. De cette façon, le Carnaval algorithmique prend son envol.

« Au fond le mérite historique de Trump a surtout été celui de comprendre que la campagne présidentielle était un show télévisé très médiocre. »

L’âge de la politique quantique

Ainsi la démocratie représentative telle qu’elle existe devient rapidement obsolète, car elle ne donne aucune valorisation à l’individu. Le vote secret ne génère aucune mention j’aime. De nombreux gouvernements étudient de nouvelles formes de consultation citoyenne avec la cyberdémocratie. La course aux données prend des proportions alarmantes et la tentative de prise de contrôle des informations personnelles de tous les Américains par Elon Musk n’annonce rien de bon. Nous assistons en direct à une mutation en profondeur de la politique actuelle. Dorénavant, on tente de nous faire croire que les milliardaires œuvrent pour le bien des moins nantis et qu’ils garantiront l’accès au rêve américain. Il convient de se rappeler que ce rêve n’est qu’un mythe. Dans les faits, la mobilité intergénérationnelle aux États-Unis est plus faible qu’en Allemagne, qu’en Suède, qu’au Canada, qu’en Finlande, qu’en Norvège et qu’au Danemark.

Le livre de Giuliano da Empoli n’a pas la prétention d’apporter de solutions concrètes. Toutefois, il fournit une solide analyse de la mécanique utilisée par les spin doctors actuels et il termine son livre ainsi :

« C’est de cet esprit, à la fois créateur et subversif, que devront s’emparer tous les démocrates pour réinventer les formes de contenus de la politique des prochaines années, s’ils veulent être capables de défendre leurs valeurs et leurs idées à l’âge de la politique quantique. »

À lire !

AuteurGuiliano da Empoli
TitreLes ingénieurs du chaos
ÉditeurJC Lattès
Année de publication et réédition2019, 2024

One thought on “Les ingénieurs du chaos 

  1. Très bien résumé, facile à lire et à comprendre, merci . La souris doit toujours se méfier de ce qui se cache sous le fromage….
    🤨😏

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